Vienne - L'Autriche, frappée pour la première fois en novembre par une attaque jihadiste en plein coeur de Vienne, veut durcir sa législation contre l'extrémisme religieux, mais quid de l'épineux volet de la "déradicalisation"?

Si le chancelier conservateur Sebastian Kurz cible régulièrement dans son discours l'"islam politique", son projet de loi antiterroriste, accueilli par de vives critiques, évoque peu la prévention et l'accompagnement des personnes radicalisées.

 

- Manque de coordination -

L'attentat de Vienne, qui a fait quatre morts le 2 novembre, a pourtant démontré les lacunes du système autrichien en la matière.

L'assaillant, Kujtim Fejzulai, condamné en 2018 pour avoir tenté de rallier les rangs du groupe Etat islamique (EI) en Syrie, était suivi par une organisation baptisée Derad. Dans des rapports réguliers remis au ministère de l'Intérieur, elle l'avait décrit comme étant "toujours radicalisé", sans que cela ne soit cependant suivi d'effet.

Quand les jihadistes sont libérés, "ils retournent dans leur vieux cercle d'amis. Souvent ils sont considérés comme des héros et retombent alors dans une spirale négative", explique à l'AFP Moussa Al-Hassan Diaw, co-fondateur de Derad.

Or "nous n'avons pas de capacités de surveillance", insiste-t-il, prônant "plus d'échanges" entre les différentes institutions impliquées et davantage de moyens.

Ainsi, la Derad n'avait pas été alertée d'un projet d'achat de munitions du jeune homme quelques mois avant l'attentat, ni d'une réunion avec d'autres jihadistes.

Si ces éléments avaient été connus, l'association aurait évidemment réagi, estime M. Diaw, car "l'idée d'une attaque aurait été sur la table".

 

- Eviter la "jihad academy" -

A l'instar de Kujtim Fejzulai, un peu plus de 1.600 combattants jihadistes sont revenus en Europe après avoir rejoint ou tenté de rejoindre l'EI.

Au début, les programmes de "déradicalisation" ont été mis en place de manière précipitée et confiés à des travailleurs sociaux, imams ou professeurs sans réelle expertise, souligne Ahmad Mansour, expert sur la prévention de l'extrémisme islamiste en Allemagne.

Mais au fil des attentats à Londres, Paris, Berlin ou Bruxelles, les différents pays ont renforcé leur stratégie.

En Belgique, "l'évaluation est plutôt positive", avec, en amont, des agents de prévention intervenant à l'échelon local, et en aval un suivi judiciaire poussé, explique Thomas Renard, spécialiste des questions de terrorisme à l'institut bruxellois Egmont.

En France, après des tentatives peu concluantes de centres fermés, un nouveau dispositif, Pairs (Programme d'accueil individualisé), a été mis en place: la prise en charge est individuelle, pour "ne surtout pas créer de +jihad academy+", selon l'administration pénitentiaire.

L'équipe, pluridisciplinaire, vise un accompagnement "cousu main" pouvant aller jusqu'à 20 heures hebdomadaires, depuis la remise en liberté jusqu'à "l'autonomie" et le "retour en société", quand en Autriche, la Derad ne rencontre les sympathisants de l'EI qu'une fois par semaine.

"On ne touche pas à la pratique cultuelle, mais on apporte une approche sociologique, historique, anthropologique", détaille l'administration pénitentiaire française, qui propose par exemple des rencontres avec des auteurs ou des reporters de guerre, ou organise des visites au département d'art islamique du musée parisien du Louvre.

Aucune récidive n'était signalée fin 2019 parmi les 85 personnes ayant intégré ce coûteux dispositif depuis son lancement il y a près de quatre ans.

 

- Programmes inefficaces? -

Derrière les barreaux, la doctrine a aussi évolué et désormais, dans la plupart des pays européens, "la majorité des détenus soupçonnés de radicalisation sont mélangés avec la population générale afin d'éviter la création de réseaux", souligne M. Renard.

Malgré des progrès, les programmes de "déradicalisation" restent régulièrement critiqués.

En Angleterre par exemple, le volet dit "Prevent" a été accusé de créer une culture de la surveillance - des critiques émanant notamment de la communauté musulmane, qui se sent ciblée à outrance.

"Le pendant psycho-social est moins présent" et l'approche davantage "pensée dans le cadre d'une stratégie policière qui peut susciter la méfiance", confirme le chercheur belge Thomas Renard.

Et quand des individus passent entre les mailles du filet, comme dans le cas de Vienne, les reproches d'inefficacité pleuvent.

"Lorsqu'il y a des cas de récidive, ils sont extrêmement médiatisés, mais cela reste des exceptions", réagit M. Renard.

"Les résultats de ces programmes sont peu prévisibles, offrent peu de garantie, mais ils ne sont généralement pas contre-productifs", ajoute cet expert. Car "on ne peut pas forcer le changement d'idéologie d'un individu, c'est un chemin qu'il doit faire lui-même".

Par Denise HRUBY, Anne BEADE, avec les bureaux européens de l'AFP

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