Ajaccio (France) - La large victoire de la liste nationaliste au premier tour des élections territoriales dimanche 3 décembre en Corse a relancé le débat sur une éventuelle demande d'indépendance ou d'autonomie accrue de cette île du sud de la France, dans un contexte encore marqué par la crise catalane en Espagne.
Avec 45,36% des voix, la coalition des autonomistes de Gilles Simeoni et des indépendantistes de Jean-Guy Talamoni, Pè a Corsica (Pour la Corse), a largement devancé les deux listes de droite et celle du parti présidentiel La République en Marche, réalisant un nouveau score historique, prélude à une très probable prise de contrôle de la nouvelle collectivité territoriale unique qui naîtra en janvier 2018.
Les 234.000 électeurs corses sont appelés à choisir les 63 élus de cette nouvelle instance issue de la fusion des deux conseils départementaux et de la collectivité territoriale (région).
Les autonomistes et les indépendantistes réclament l'obtention d'un véritable statut d'autonomie dans les trois ans et sa mise en œuvre effective dans les dix ans.
Cette île touristique de Méditerranée, surnommée "l'île de Beauté", a retrouvé un semblant de stabilité après des décennies marquées par plus de 4.500 attentats revendiqués par le Front de libération nationale de la Corse (FLNC). Cette organisation armée clandestine avait annoncé en juin 2014 le dépôt des armes afin de favoriser une évolution politique en Corse qui compte 330.000 habitants et pèse 0,4% du PIB national.
Même si elle était attendue avant le scrutin et même s'il reste un second tour à disputer le 10 décembre, ce nouveau succès des nationalistes a marqué par son ampleur. "Ce résultat est très étonnant", reconnaît auprès de l'AFP André Fazi, maître de conférences en sciences politiques à l'Université de Corse, rappelant qu'avant le scrutin, les vainqueurs du premier tour espéraient être au-dessus de 35% des suffrages : "45%, c'est énorme".
Depuis la victoire de Gilles Simeoni aux municipales à Bastia en 2014, les nationalistes corses ont multiplié les succès : aux territoriales de décembre 2015, déjà unis, MM. Simeoni et Talamoni avaient remporté une victoire historique. En juin 2017, les électeurs corses envoyaient 3 députés nationalistes à l'Assemblée nationale, sur les 4 que compte l'île - là, encore, il s'agissait d'une première.
Au lendemain du 1er tour, Jean-Guy Talamoni, a assuré sur la radio France Inter préparer "la séquence suivante, qui pourrait être l'indépendance dans 10 ans ou dans 15 ans": "Mais il n'y aura pas d'indépendance si les Corses ne le veulent pas majoritairement. Mais si les Corses le veulent dans 10 ou 15 ans, personne ne pourra s'y opposer".
Gilles Simeoni, fils d'Edmond Simeoni, un des "pères" du nationalisme corse, a quant à lui salué auprès de l'AFP un "raz-de-marée démocratique". "La question de l'indépendance n'est pas posée aujourd'hui. (...) Nous voulons un statut d'autonomie", a-t-il aussi dit sur la radio Europe 1 : "Les indépendantistes aujourd'hui inscrivent leur action dans un cadre exclusivement démocratique et disent que ce sont les Corses qui décideront. Si les Corses ne veulent d'indépendance, il n'y aura pas d'indépendance".
"La nouvelle Catalogne"
De fait, la victoire engrangée avec un fort taux d'abstention de près de 48%, quelques semaines après la crise catalane en Espagne, suscite des inquiétudes chez certains. "Si derrière, comme l'a dit ce matin M. Talamoni, il y a l’indépendance dans 10 ou 15 ans, bien sûr que ça m'inquiète", a ainsi déclaré sur France 2 Eric Ciotti, député LR (droite).
"Je peux comprendre qu'il y ait une volonté de proximité, une volonté de plus grande autonomie dans les décisions, autant je suis un farouche opposant à l’indépendance", a aussi prévenu sur Public Sénat le député Franck Riester, ancien du parti de droite LR, aujourd'hui rallié au président Emmanuel Macron.
Et si le chef de file de La France Insoumise (extrême gauche) Jean-Luc Mélenchon, qui avait manifesté son intérêt pour la démarche de Pè a Corsica pendant la campagne, a félicité les vainqueurs sur Twitter, saluant en Gilles Simeoni une figure du "dégagisme" contre Macron, son proche Alexis Corbière a prévenu sur LCI : "Je ne souhaite pas que la Corse devienne la nouvelle Catalogne".
Selon André Fazi, une évolution "à la catalane" relève toutefois pour le moment du "fantasme". Aux yeux du politologue, "la volonté d'indépendance dépendra des réponses du gouvernement". Dans les années 1970 en Corse, rappelle-t-il, "un des facteurs de radicalisation a été la politique fermée du gouvernement face à des demandes très modérées comme l'enseignement facultatif de la langue corse".
Pé a Corsica vise maintenant la majorité absolue des sièges à la Collectivité territoriale unique, et doit pour cela décrocher plus de 40,5% des suffrages au second tour.
Par Maureen Cofflard et Julie Pacorel
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