Calais - Si le nombre des exilés morts en tentant de traverser la Manche augmente mois après mois, la liste des disparus en mer s'allonge, elle aussi, inexorablement. Deux semaines après le naufrage de leur embarcation, Osama Ahmed, Syrien, cherche toujours son père...

"Je vis avec beaucoup d'espoir de le retrouver. Inch'Allah, je vais le retrouver", assure à l'AFP ce rescapé de 20 ans, pris en charge par le secours en mer français en octobre lors d'un de ces naufrages meurtriers qui se multiplient entre la France et l'Angleterre depuis 2018. 

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Le Syrien Osama Ahmed montre une photo de lui avec son père dans la maison de association La Margelle à Calais, où il vit depuis que son père a disparu lors du naufrage de leur bateau pendant la nuit du 23 octobre 2024, dans le nord de la France  Photo AFP/Sameer Al-Doumy

La famille d'Osama avait fui la Syrie il y a 13 ans pour s'installer en Turquie. Deux frères du jeune homme sont déjà passés en Angleterre. 

Mais lors d'une tentative pour les rejoindre il y a deux semaines, le canot a coulé à deux kilomètres des côtes françaises et Ahmed Ahmed, son père, "l'homme le plus gentil du monde" dit-il, a disparu quand l'embarcation s'est disloquée. 

Visage juvénile entouré d'un collier de barbe, les yeux brillants sous de longs cils recourbés, il raconte dans une maison où l'abrite une association à Calais (nord-est) les démarches pour localiser son père dont la mort reste pour lui inconcevable.

La vie du jeune homme semble s'être figée la nuit du 22 au 23 octobre. 

Le père et le fils tentaient pour la troisième fois de rallier l'Angleterre, comme plus de 30.000 migrants l'ont fait depuis janvier.

Au signal des passeurs, le groupe d'une soixantaine de personnes caché dans les dunes s'est précipité vers un canot déjà à flot, décrit-il, mais l'embarcation a parcouru un kilomètre à peine avant que l'eau ne commence à y entrer. 

Le groupe fait alors demi-tour mais les passeurs restés sur la plage les repoussent vers le large, rapporte Osama. Selon lui, ils avaient promis des gilets de sauvetage, puis expliqué au moment de partir qu'ils étaient endommagés.

Le canot s'est finalement dégonflé et tous les passagers sont tombés à l'eau. 

La première demi-heure, Osama et son père se sont accrochés l'un près de l'autre mais lorsque le canot s'est disloqué, ils se sont retrouvés séparés, dans l'obscurité et la panique. 

Deux ferries sont passés près d'eux avant que les secours ne finissent par arriver, raconte-t-il.

Une femme et deux hommes ont été retrouvés morts, mais le décalage entre le nombre de rescapés, 45, et le nombre plus élevé de passagers à bord évoqué par les témoins fait craindre des disparus. 

Depuis ce naufrage, auxquels d'autres drames ont déjà succédé dans la Manche, neuf corps ont été découverts en mer ou rejetés sur des plages du Pas-de-Calais.

- Bague gravée -

Souffrant de brûlures liées à l'eau salée et au carburant, Osama a été hospitalisé. A son réveil, il a demandé où se trouvait son père, puis s'est mis à le chercher dans les commissariats, les hôpitaux, à la Croix-Rouge. En vain. 

Le jeune homme décrit à la police ses vêtements et la bague où son nom est gravé. La police prélève aussi son ADN. 

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Le Syrien Osama Ahmed à Calais, où il vit depuis que son père a disparu lors du naufrage de leur bateau pendant la nuit du 23 octobre 2024, dans le nord de la France Photo AFP/Sameer Al-Doumy

A chaque découverte de corps, il s'attend à apprendre qu'il s'agit de son père. Dans l'attente de nouvelles, tous ses projets de vie restent à quai.  

Il sourit de toutes ses dents lorsqu'il décrit son père, son "exemple dans cette vie", montrant sur son téléphone la photo d'un quinquagénaire à la moustache grise, en chemise blanche et veste. 

Selon Jeanne Bonnet, co-fondatrice de La Margelle, les services qui pourraient l'aider dans ses recherches sont peu accessibles.

"On a l'impression parfois de se faire balader de service en service" et, comme dans le cas d'Osama, "c'est toujours à nous (les proches et les associations) d'aller chercher les informations", déplore-t-elle.  

Elle s'indigne aussi qu'aucune solution d'hébergement n'ait été proposée au jeune homme, traumatisé et blessé, à sa sortie de l'hôpital. Il est retourné vivre dans un campement, avant d'être repéré par les associations et accueilli à La Margelle. 

Depuis le 1er novembre, malgré des températures en baisse et le brouillard, près de 1.200 migrants ont rejoint les côtes anglaises à bord de "small boats", selon les chiffres officiels britanniques. 

Au moins 60 sont morts dans la Manche depuis le 1er janvier, sans compter les derniers corps découverts et les disparus, ce qui fait de 2024 l'année la plus coûteuse en vies humaines depuis 2018. 

Par Béatrice Joannis

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