Pristina - "Les sectes religieuses sont mieux organisées que l'administration pénitentiaire": à sa libération, l'ex-détenu Sami Lushtaku a résumé dans la presse le défi imposé au Kosovo par les ex-jihadistes emprisonnés.

Détenu lors d'une enquête pour crimes de guerre durant le conflit d'indépendance de 1998-99, Lushtaku a croisé ces vétérans dans la plus grande prison du pays à Dubrava (ouest), avant d'être transféré à Gerdoc, à 25 kilomètres de Pristina, où il est resté jusqu'à l'été 2017.

Dans une unité dédiée de cet établissement de haute sécurité, sont regroupés depuis 2014 une vingtaine de jihadistes radicaux, considérés les plus dangereux parmi quelque 80 islamistes détenus.

Cette stratégie de l'isolement est l'objet d'un débat récurrent mais pour le journaliste kosovar spécialisé dans les affaires religieuses, Visar Duriqi, c'est la seule solution "pour empêcher qu'ils n'exercent une quelconque influence sur des gens qui ont déjà enfreint la loi et sont plus fragiles".

Selon les estimations officielles, quelque 300 Kosovars ont combattu depuis 2012 dans les rangs du Front al-Nosra ou de l'organisation Etat islamique. Plus d'une cinquantaine ont été tués mais 130 sont rentrés au pays. Une loi a été adoptée en 2015: avoir combattu dans les rangs jihadistes les expose à quinze ans de prison.

- Patriotes -

"En proportion de sa population d'1,8 million d'habitants, le Kosovo est vraisemblablement la plus importante source de jihadistes en Syrie et en Irak", résumait dès 2015, le centre de réflexion américain, Combatting terrorism Center.

Un plan d'action gouvernemental pour la période 2018-2022 pose les enjeux: "Le Kosovo est menacé par ceux qui reviennent des zones de conflits" et entendent "s'attaquer au caractère multi-ethnique et plurireligieux du Kosovo, à son gouvernement démocratique et à sa société séculaire".

Pour le vice-ministre des forces de sécurité, Burim Ramadani, "le principal défi est de faire de ces hommes des patriotes et non de les enfoncer plus dans leur hostilité".

La communauté islamique du Kosovo (BIK) vient de décider d'envoyer vingt imams donner des cours de religion en prison. Il faut engager les islamistes radicaux "dans une réflexion pour qu'ils deviennent des citoyens normaux", "il ne faut pas les laisser dans leur monde", explique à l'AFP un des responsables de la Communauté islamique, le mufti Sabri Bajgora.

Même s'ils sont séparés de la population carcérale générale, les plus radicaux côtoient les autres islamistes détenus. Pour ces derniers, "la déradicalisation sera lente", prévient Visar Duriqi. "Nous ne savons pas comment ils réagiront", concède le Sabri Bajgora.

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Statut des pays des Balkans vis à vis de l'Union européenne 

La presse kosovare a récemment rapporté le cas de l'ex-jihadiste Fitim Lladrovci, 28 ans, qui sitôt libéré, a repris sur les réseaux sociaux son activité de propagandiste.

Au tribunal, ces jeunes hommes gardent généralement le silence. Mi-mai, huit ont été condamnés pour un projet d'attentat déjoué en novembre 2016 en Albanie voisine, contre la sélection israélienne de football. Un seul avait effectivement combattu mais tous étaient "en contact permanent avec des membres de l'Etat islamique en Syrie", a déclaré la procureure Merita Bina-Rugova.

Un membre de la cellule, Kenan Plakaj, condamné à 18 mois de prison et désormais libre en attendant l'appel, a assuré à l'AFP chercher une vie normale, "avoir des enfants, continuer (sa) carrière de chimiste et trouver un emploi dans le recyclage". "Je ne connais que la justice d'Allah, et je ne me sens ni coupable ni terroriste", a de son côté dit à la cour le chef, Visar Ibishi, 28 ans, avant de refuser de sortir de Gerdoc pour entendre le verdict le condamnant à dix ans.

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Ancien imam de la Grande Mosquée de Pristina, Shefqet Krasniqi, est le plus important prêcheur radical du Kosovo

- Imams radicaux -

Selon Skender Perteshi, analyste au Kosovo Centre for Security Studies (KCSS), les ex-jihadistes "appartiennent désormais à un réseau terroriste international, ont appris à se servir d'armes et d'explosifs, ont assisté de très près à des tueries et des massacres", expérience "qu'ils ramènent au Kosovo".

En rupture avec l'islam libéral teinté de soufisme pratiqué par les musulmans kosovars (90% de la population), ces hommes sont souvent sous l'influence d'une poignée d'imams radicaux. Ces religieux "ont joué un rôle dans la propagation de l'extrémisme islamique", ont écrit les auteurs du plan d'action gouvernemental.

Six ont été poursuivis. Un seul, Zeqeria Qazimi, a été condamné à dix ans de prison pour incitation au jihad. Le plus important, Shefqet Krasniqi, 51 ans, qui a étudié l'islam quinze ans en Arabie saoudite, a été acquitté en mars. Il a repris ses cours à la faculté de théologie de Pristina.

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