Luxembourg - L'action du parquet européen, créé pour lutter contre les détournements des fonds de l'UE, est menacée par des retards au moment où Bruxelles prévoit de verser des dizaines de milliards d'euros aux pays touchés par la pandémie, risque de fraudes à la clé.

Nommée en 2019 à la tête de cette nouvelle autorité judiciaire siégeant à Luxembourg, la Roumaine Laura Codruta Kovesi a prêté serment fin septembre avec son collège de 22 procureurs, issus des Etats membres participant à cette coopération renforcée.

Mais le début de ses activités, initialement prévu pour novembre, est suspendu à la désignation des 140 procureurs délégués. Ils seront chargés de mener au niveau national les enquêtes, qui seront supervisées par les 22 procureurs depuis Luxembourg.

"Tant qu'ils ne sont pas là, on ne peut pas enquêter. On espère qu'ils seront proposés aussi vite que possible" par les Etats membres, indique Mme Kovesi dans un entretien à l'AFP, précisant que ces magistrats "seront payés par le parquet et indépendants de leurs gouvernements respectifs".

Les désignations achoppent notamment sur des questions pratiques liées à leur statut.

Même sentiment d'urgence du côté du commissaire à la Justice Didier Reynders, qui a écrit cette semaine aux Etats membres pour les presser d'aboutir. Et pour prier la dizaine de pays qui n'ont pas encore adapté leur procédure nationale afin d'intégrer le parquet européen d'accélérer le mouvement.

"Mon souhait est qu'on démarre cette année, et qu'en tout cas on soit prêt à démarrer" dès que le budget 2021-2027 et le plan de relance "pourront être mobilisés", indique le commissaire belge à l'AFP.

"On va dépenser plus d'argent plus rapidement et avec plus de flexibilité, on a d'autant plus besoin d'un outil performant d'investigation et de poursuite au niveau européen parce que les risques de fraude, de criminalité financière autour du budget sont beaucoup plus importants", souligne-t-il.

"Des cacahuètes"

Autre difficulté: pour fonctionner correctement, le parquet européen doit se voir allouer un budget plus conséquent, estime Mme Kovesi. "La proposition de la Commission européenne pour 2021 est 37,7 millions euros, mais nous avons besoin de 55 millions d'euros".

"Nous avons besoin de personnel au Luxembourg. Nous manquons d'analystes, d'enquêteurs financiers, de conseillers juridiques. Il nous manque encore 80 postes", détaille la magistrate de 47 ans dont l'objectif est de disposer d'une équipe de plus de 200 personnes à Luxembourg.

"Le coût du parquet européen représente des cacahuètes comparé aux bénéfices des enquêtes", fait-elle valoir.

Didier Reynders souligne que le budget du parquet a déjà été "presque triplé" pour 2021. Pour l'augmenter encore, "on va essayer de voir avec le Parlement et le Conseil jusqu'où on peut aller. Mais à un moment donné il faudra démarrer, c'est la seule façon de prouver le besoin", argumente Didier Reynders, qui a rencontré le collège des procureurs jeudi.

Installé dans des locaux temporaires, le nouveau parquet déménagera en décembre dans des bureaux en cours de rénovation, tout près de la Cour de justice de l'UE.

Figure de la lutte anti-corruption en Roumanie, Laura Codruta Kovesi a été nommée malgré l'opposition du gouvernement de son pays.

"Mon travail consiste à m'assurer que tous les procureurs sont indépendants et travailleront de manière impartiale, qu'ils ne suivront pas de consignes de leur gouvernement", insiste la procureure en chef.

A la différence des organes actuels de lutte contre la fraude et la criminalité transfrontalière, Eurojust et Olaf, le parquet européen pourra mener des enquêtes au pénal sur la base de plainte, et engager des poursuites, saisir des actifs.

Il est compétent pour la fraude aux fonds européens dépassant les 10.000 euros, la fraude à la TVA de plus de dix millions d'euros, le blanchiment d'argent, la corruption.

Une criminalité représentant entre 30 et 60 milliards d'euros par an, selon Mme Kovesi, qui compte "en récupérer une grande partie".

La langue de travail du parquet européen sera l'anglais, au grand regret des défenseurs de la francophonie: un choix du collège des procureurs, guidé par "des raisons d'efficacité". Mais "nous utiliserons le français dans notre relation avec la Cour de justice de l'Union européenne", précise-t-elle.

Pierre Sorlut avec Anne-Laure Mondesert à Bruxelles

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