Paris - Ils résument à eux seuls les divisions européennes: les migrants "dublinés", enregistrés dans un autre pays que celui où ils vivent, sont aujourd'hui des milliers, ballotés au gré de procédures complexes.
Qu'est-ce qu'un "dubliné"?
Le terme vient du "règlement Dublin" de 2013, qui détermine le pays compétent pour traiter chaque demande d'asile. Plusieurs critères sont théoriquement pris en compte : rapprochement familial, délivrance de visas... Dans les faits, c'est le premier pays d'enregistrement qui est responsable.
Concrètement, un "dubliné" est une personne enregistrée dans un autre pays, soit parce que ses empreintes ont été entrées dans le système Eurodac, soit parce qu'elle a déposé une demande d'asile (sans attendre la réponse, ou dont elle a été déboutée). Leurs déplacements donnent lieu à ce qu'on appelle des "mouvements secondaires", redoutés mais parfois aussi exploités à l'heure de la montée des populismes.
Avec ce règlement, un Etat est fondé à envoyer une requête au pays compétent, qui donnera son accord de responsabilité, avant un transfert.
Les pouvoirs publics ont six mois pour transférer la personne (18 mois en cas de fuite) une fois l'accord obtenu. Un délai parfois dépassé en cas de recours, soulignent les associations.
A noter: le terme de "dubliné" ne fait pas l'unanimité, du fait de son caractère administratif ou jugé déshumanisant.
Combien sont-ils?
Les chiffres sont compliqués à manier, du fait de diverses comptabilisations au niveau européen et nationaux, et de la discrétion de certains gouvernements sur ce sujet sensible.
Selon les chiffres nationaux compilés par Eurostat, quelque 155.000 demandes de transfert ont été émises l'an dernier par les pays de l'UE. Même si ce total peut comporter des doublons, des erreurs ou des oublis, il donne une idée du nombre de "dublinés" au sein de l'UE -- à rapprocher des 709.000 demandes d'asile enregistrées l'an dernier.
Le nombre de requêtes de 2016 était à peu près du même niveau (152.825), mais il y avait 1,3 million demandes d'asile.
L'Allemagne, où Angela Merkel vient d'accepter le principe de centres de transit aux frontières pour organiser les renvois, est depuis plusieurs années le pays qui compte le plus grand nombre de ces "dublinés": elle a envoyé 63.000 requêtes l'an dernier à ses voisins (selon Eurostat)
Viennent ensuite la France (41.000 requêtes) et l'Autriche (10.500).
L'Italie, qui réclame plus de solidarité pour compenser sa position géographique, a reçu l'an dernier 27.000 demandes des pays européens, en nette baisse par rapport à 2016 (65.000 requêtes). L'Allemagne aussi a reçu 27.000 requêtes l'an dernier.
Est-ce que cela fonctionne?
Que l'on prenne les chiffres nationaux ou européens, on voit que la procédure est peu effective.
La France a ainsi obtenu l'accord pour 29.000 requêtes envoyées l'an dernier; mais seules 2.633 personnes ont effectivement été renvoyées, dont 869 vers l'Allemagne et 982 vers l'Italie, selon Eurostat.
Pour l'Allemagne, seules 7.102 personnes ont été renvoyées, la plupart vers l'Italie (29,7%), la France (7,5%) et la Pologne (13,2%), selon les chiffres du gouvernement. Eurostat comptabilisait 42.000 accords.
D'où viennent les "dublinés"?
Il est là aussi difficile d'avoir des statistiques. Les "dublinés" reflètent, avec un décalage, les flux migratoires entrant en Europe. La France a ainsi vu arriver des ressortissants d'Afrique sub-saharienne passés par l'Italie via la Libye, mais aussi des Afghans déboutés des pays du nord de l'Europe.
Les mouvements s'expliquent notamment par le fait qu'une même personne aura des chances variées d'obtenir l'asile selon les pays: 80% pour les Afghans en France, contre 50% en Allemagne...
Comme tous les pays n'ont pas non plus la même qualité d'accueil, les mêmes politiques d'expulsion... cela influera sur le parcours.
Une réforme est nécessaire, pour compenser le poids pesant sur le pays d'entrée par une solidarité plus effective, mais les dirigeants des pays de l'UE ont entériné leur aveu d'échec sur cette question lors d'un sommet fin juin, qui était pourtant censé débloquer la situation.
Par Claire Gallen
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