Paris - L'Irlande a dit "oui" le 7 octobre à la réforme mondiale de la fiscalité des multinationales, dont la contribution au budget des Etats n'a cessé de reculer depuis 40 ans au bénéfice des paradis fiscaux.

Quelques éléments pour comprendre ce chantier très diplomatique et hautement technique, mené sous l'égide de l'OCDE et censé mettre fin à l'optimisation fiscale des géants de l'économie mondiale.

 

Pourquoi taxer davantage les multinationales?

En 2017, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a été mandatée par le G20 pour lutter contre "l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices" (BEPS). En clair, les stratégies d'optimisation qui permettent aux grandes entreprises d'échapper en grande partie à l'impôt.

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Le logo de l'OCDE à Paris
AFP/Eric Piermont

Les négociations ont été relancées au printemps par une proposition de l'administration Biden de fixer un taux de 15% minimum. Et aussi par la pandémie de Covid-19: les Etats cherchent de nouvelles recettes après avoir déployé des plans de relance pharaoniques.

Le scénario rappelle celui de la crise de 2008, qui avait conduit le G20 à proclamer la fin du secret bancaire. L'OCDE avait alors mis en place un vaste système d'échanges automatiques de données, forçant les grandes fortunes à soumettre leurs comptes en Suisse et ailleurs à l'examen du fisc.

Un accord historique sur les grandes lignes de la réforme a été annoncé en juillet et 134 pays s'y étaient ralliés avant le feu vert irlandais.

 

Comment?

En empêchant les entreprises de se retrancher derrière leur "établissement fiscal" dans un pays particulièrement accueillant, déconnecté de leur activité réelle.

La réforme comporte deux "piliers".

Le "pilier 1" vise à répartir équitablement entre les pays les "droits à taxer" les profits des multinationales. Dans l'accord conclu le 1er juillet, les Etats ont prévu de partager une partie des recettes fiscales entre les pays où une société a des activités, en fonction du chiffre d'affaires réalisé dans chaque pays. Le niveau exact pourrait être entériné vendredi.

Le "pilier 2" consiste à instaurer un impôt mondial minimal afin de s'assurer que quel que soit le lieu de son implantation, une multinationale ne paye pas moins.

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Les bureaux de Facebook à Dublin, le 7 octobre 2021
AFP/Paul Faith

Quel taux?

L'accord prévoyait un taux effectif d'"au moins 15%", assorti de quelques déductions dans le calcul de la base à imposer, restant encore à préciser.

L'Irlande a annoncé jeudi qu'elle le rejoignait, une fois assurée que la mention "au moins" avait disparu du projet de texte final attendu vendredi.

Les économistes Gabriel Zucman et Thomas Piketty ont jugé un taux de 15% "ridiculement faible", sachant que le taux moyen d'impôt sur les sociétés dans le monde est de 22%, contre 50% en 1985.

En dessous de 15%, selon des données de l'OCDE: les paradis fiscaux dont le taux est nul, comme Jersey, Guernesey, les Bahamas, les Bermudes ou les Emirats arabes unis. En Europe: l'Irlande (12,5%) et la Hongrie (9%), cette dernière ne s'étant pour l'instant pas ralliée à l'accord.

Dans certains pays, le taux annoncé peut être élevé, comme au Luxembourg (25%) ou à Malte (35%), mais assorti de multiples exemptions.

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Les bureaux de Google à Dublin, le 7 octobre 2021
AFP/Paul Faith

Quelles entreprises?

Pas la PME du coin, exclusivement les très grandes entreprises aux filiales et succursales multiples, et aux chiffres d'affaires gigantesques. Celles qui ont les moyens de mettre en place des circuits sophistiqués pour réduire leur charge fiscale.

Au départ, le "pilier 1" de la réforme ciblait les entreprises du numérique, dont les géants américains (Google, Amazon, Facebook, Apple), ce qui déplaisait aux Etats-Unis.

Finalement, il devrait viser les "100 entreprises les plus profitables au monde, qui réalisent à elles seules la moitié du profit mondial", a expliqué à l'AFP Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE.

La moitié sont américaines, incluant les Gafa dont les bénéfices se sont encore accrus avec la pandémie.

Concernant l'impôt minimal mondial, moins de 10.000 grandes entreprises seraient concernées, celles dont le chiffre d'affaires dépasse 750 millions d'euros.

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Graphique comparant les taux d'impôt sur les bénéfices des sociétés dans les pays de l'OCDE en 2021 

Combien de recettes fiscales?

L'OCDE a chiffré le gain à 150 milliards de dollars par an, sur la base d'un taux minimal de 15%.

Pour les entreprises, une estimation n'est possible que pour celles qui acceptent de publier leurs bénéfices dans chacun des pays où elles ont des activités, ce qui n'est pas le cas des Gafa.

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Le campus Apple à Cork, dans le sud de l'Irlande, en octobre 2014
AFP/Paul Faith

D'après l'ONG Oxfam, le taux à 15% offrira aux pays du G7 et à l'Union européenne les deux tiers des sommes reversées, tandis que les pays les plus pauvres bénéficieront de moins de 3%.

"Cet accord ne s'adresse pas assez aux inquiétudes des pays en développement et des pays émergents", a regretté jeudi le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz au cours d'une conférence, saluant toutefois "un grand geste en avant" qui permet de "supprimer certaines failles".

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