Strasbourg - La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu mardi un jugement historique en condamnant pour la première fois un Etat pour inaction climatique, en l'occurrence la Suisse. Voila ce que change cette décision qui fait jurisprudence.

Que dit l'arrêt ?

La CEDH, chargée de veiller au respect de la Convention européenne des droits de l'homme, avait reçu une requête de l'association suisse des "Aînées pour la protection du climat". Ces femmes considéraient que Berne ne prenait pas de mesures suffisantes pour atténuer les effets du changement climatique, en violation de leurs droits à la vie, à la santé et au bien-être.

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Des membres de l'association suisse "Aînées pour la protection du climat" et des jeunes militants devant la CEDH avant des décisions attendues sur le climat, le 9 avril 2024 à Strasbourg. Photo: AFP/Frederick Florin

La grande chambre, formation la plus solennelle de la CEDH, composée de 17 juges, a traité ce dossier en priorité, et a donné raison à l'association suisse. Elle a en revanche rejeté les requêtes individuelles formulées par quatre membres de l'association.

Elle conclut que la Confédération helvétique, "faute d'avoir agi en temps utile et de manière appropriée et cohérente", a manqué à ses obligations et s'est rendue coupable de "graves lacunes", notamment en ne quantifiant pas les limites nationales applicables aux gaz à effet de serre (GES), par exemple à l'aide d'un budget carbone.

Par conséquent, la Cour a jugé qu'il y avait eu violation de l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la convention. Elle a en outre dit qu'il y avait eu violation de l'article 6 relatif à l'accès à un tribunal.

La Suisse doit verser 80.000 euros à l'association pour frais de justice.

Quelles conséquences ?

L'arrêt de la CEDH est définitif. La Suisse a l'obligation de le respecter et donc de redoubler d'efforts pour lutter contre le changement climatique. 

"Cet arrêt détaillé sera analysé avec les autorités concernées et les mesures que la Suisse doit prendre pour l'avenir seront examinées", a fait savoir le gouvernement fédéral.

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Des membres de l'association suisse "Aînées pour la protection du climat" et des jeunes militants devant la CEDH avant des décisions attendues sur le climat, le 9 avril 2024 à Strasbourg. Photo: AFP/Frederick Florin

Alain Chablais, qui représentait le gouvernement suisse devant la CEDH, a expliqué que "les moyens (à mettre en œuvre) seront déterminés par le gouvernement suisse et le parlement suisse" et qu'il faudra "un certain temps pour déterminer quelles mesures seront prises".

Le comité des ministres du Conseil de l'Europe vérifiera que la Suisse se conforme à cet arrêt.

"Nous allons être extrêmement attentives a ce que la Suisse mette en œuvre la décision", a averti Anne Mahrer, l'une des militantes écologistes qui ont fait condamner Berne.

Et maintenant ?

L'arrêt fait jurisprudence, c'est-à-dire qu'il pourra servir de référence dans d'autres dossiers portant sur le changement climatique -- il y a actuellement plusieurs autres affaires devant la CEDH en lien avec ce sujet.

Cette décision a des implications pour la Suisse mais pas seulement: elle s'applique dans les 46 Etats membres du Conseil de l'Europe.

Dans son arrêt, la CEDH explique que les autorités nationales disposent d'une "marge d'appréciation" et peuvent choisir les mesures à mettre en place pour atteindre leurs objectifs, mais la cour a toutefois précisé ce qui était nécessaire.

Un Etat doit ainsi avoir des objectifs précis en matière de réduction des gaz à effet de serre, un budget carbone ou tout autre méthode équivalente de quantification des futures émissions de GES, ainsi qu'un mécanisme de suivi pour vérifier que ces objectifs sont atteints. 

"La Cour a posé une liste d'exigences pour qu'un Etat se conforme à ses obligations climatiques et ça c'est tout à fait nouveau et c'est quelque chose de très spectaculaire et très réjouissant", s'est félicité Raphaël Mahaim, l'un des avocats de l'association des Aînées suisses pour le climat. "Il y a de grands espoirs que les choses bougent assez rapidement". 

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La jeune militante suédoise Greta Thunberg (2e g) devant la CEDH, à Strasbourg, pour apporter son soutien aux militants contre l'inaction des Etats en matière de réchauffement climatique, le 9 avril 2024 à Strasbourg. Photo: AFP/Frederick Florin

"Ce n'est que le début en matière de contentieux climatique: partout dans le monde, de plus en plus de gens traînent leur gouvernement devant les tribunaux pour les tenir responsables de leurs actions", a salué la militante suédoise Greta Thunberg, présente à Strasbourg pour la décision.

Par Pauline Froissart